Conteur

Un conteur au musée : partage d’un « musée imaginaire » à voix haute

Jean-Michel Vauchot au musée des beaux arts de Dijon

« Toutes les histoires du monde sont dans les musées »

« Depuis plusieurs années, Jean-Michel Vauchot invente les récits que lui inspirent les collections du musée des beaux-arts de Dijon. Il les raconte aux petits et aux grands, dans les salles.
Ce sont des contes à la fois traditionnels et modernes. Certains font semblant d’être immémoriaux, certains ont l’air de venir d’un passé bien déterminé, d’autres-la plupart-sont franchement fantaisistes et cocasses, décalés et dessinent des portraits bien de notre temps. Et comme tous les bons contes, ils nous posent une question, nous tendent un miroir, nous invitent à nous remettre en question.
Merci à Jean-Michel Vauchot de ces histoires savoureuses et édifiantes… »
Sophie Jugie, directrice du musée des beaux-arts de Dijon.

Préambule – Déambule : le choix

« Faire un pas … , encore un pas. Marche aujourd’hui, marche demain, c’est en marchant que l’on fait du chemin ».

Tout démarre à pied pour une balade gratuite à la recherche d’un cadeau : un tableau à partager, à raconter qui se niche et se cache encore dans l’écrin du Palais Ducal de Dijon.
Dans sa partie orientale, le palais abrite le musée. Un musée à vivre, à aimer, à partager avec le plus grand nombre :

« Si la vie vaut jamais la peine d’être vécue … , c’est à ce moment où l’homme contemple la beauté même ».
PLATON (Le banquet)

Une promenade à travers les siècles qui me fait prendre conscience de cette longue chaîne de communication que représente l’art et qui unit les hommes aux hommes.
Au détour d’un couloir, la parole sculptée de RODIN, entre ombre et lumière, me révèle le mystère de Vénus à sa toilette.

La Toilette de Vénus, 1885, bronze (0,46 x 0,21 x 0,20 m) de Auguste Rodin (1840-1917).

Un peu plus loin, je pénètre avec Félix VALLOTTON dans l’intimité d’une chambre bourgeoise où une femme se coiffe.

Jeune Femme se coiffant, 1900, gouache sur carton et papier (0,81 x 0,61 m) de Félix Vallotton (1865-1925).

Puis c’est l’infinie variation colorée des pétales desséchés d’une rose qui m’aspire dans « l’intérieur rouge » de VIERA DA SILVA. Puis c’est « la japonaise au bain » de James TISSOT qui me fait signe à son tour …

Je marche, je rêve, je marche et la rencontre finit par avoir lieu avec ces tableaux que j’ignorais … , que je cherchais.

Rencontre magique entre « Le mouvement de l’âme du peintre et l’imaginaire du conteur » :

Émotion, souffle, beauté, harmonie, esthétique, intuition, trouble, universalité, spiritualité, spectacle permanent, plénitude de possibilité du tableau, contemplation, rêve …

Voir, s’écouter, comprendre, aimer, vouloir partager, écrire, dire …

C’est sur ces tableaux que je vais travailler !

Méthode et imaginaire

Une fois le tableau choisi, il s’agit maintenant de repérer le chemin du peintre : la structure du tableau*.

J’analyse le tableau sur un plan technique et je travaille sur les dossiers des œuvres mis à ma disposition par la bibliothèque du musée et sa précieuse documentaliste.

J’identifie

  • Le cadre : rectangle, carré, ovale, cercle ;
  • Les lignes de fuite ;
  • Les axes et les structures qui constituent l’armature du tableau (verticales, horizontales) ;
  • Les masses et les rapports ombre-lumière, les valeurs (gammes de gris: du noir au blanc) ;
  • Le point de vue du tableau (son angle) ;
  • Les codes symboliques, les référents culturels …

Quelques exemples :

  • La science du modelé de Rodin qui donnait vie à ses modèles ;
  • L’élégante modernité d’un nu plus grand que nature avec « la japonaise au bain » de James Tissot ;
  • Le modelé et la perspective occidentale se juxtaposent à des motifs japonisants ;
  • La lumière engloutie par la couleur chez VIERA DA SILVA et son « intérieur rouge » ;
  • La mélodie tendre des gris rehaussés de rose chez Félix VALLOTTON et sa jeune femme se coiffant. L’esthétique Nabi se marie à une mise en page inspirée des estampes japonaises.

Je lis les bibliographies consacrées au peintre, je sollicite les conférencières du musée pour qu’elles me parlent de l’oeuvre du peintre.

Je m’interroge sur mes représentations, mes préjugés, mes stéréotypes relatifs à l’égalité homme – femme.

Je relis le document : consultation Egalité – Jeunesse Bourgogne (Carrefour des mondes 2007/2008). Il s’agit d’une enquête menée auprès de jeunes scolaires et apprentis sur les inégalités et les stéréotypes homme-femme véhiculés dans notre société, nos familles, nos médias.

Le temps de la maturation : où l’émotion personnelle du début s’imprègne de mon imaginaire nourri d’un travail sur les dossiers des œuvres.
Moment difficile à analyser, où il s’agit pour moi de préserver, dans le tableau, la part miraculeuse du rêve inscrite par le peintre et de tenter de l’enrichir de mes mots, dans la perspective de partager cette émotion avec un public.

« Les quatre pieds de la chaise du conteur au musée »

1)    Se laisser accrocher par un tableau
2)    Apprendre à voir
3)    Voir avant de dire
4)    Dire ce que l’on voit

Un tableau c’est un grand livre d’images que j’essaie de légender.
La seule chose à ne pas faire c’est de venir déjà avec son histoire.

Apprendre à voir, voir avant de dire.

L’écriture : comme une porte secrète entrebâillée aux vents de l’imaginaire sensible à la musique des mots … Comme une plume qui trace les signes d’une histoire à transmettre. Comme un peintre impressionniste je saisis un instant plus qu’une vérité générale. Le mot écrit devient alors l’image du mot rêvé.
Il ne me reste qu’à résoudre l’impossible équation : rester le même (avec la petite musique de la parole conteuse), et être toujours nouveau (ne pas reproduire des schémas d’écriture).

La mise en bouche du texte : des textes pour être dits, lus ou racontés devant un public qui, seul, pourra donner aux mots toutes leurs forces car il y ajoutera la force de ses images.
L’articulation, le rythme, la puissance de la voix, la respiration, l’éducation de l’oreille aux sons des mots participeront à donner de la chair au texte.

La naissance de l’histoire :
Elle naît véritablement que lorsqu’elle est donnée au public par la médiation du conteur mais attention, « une histoire ne meurt pas faute d’être dite, elle meurt de ne pas être entendue ».

Pour conclure

« L’Art de conter au musée »
1) Une voix : avec une qualité d’articulation pour ne pas être obligé de parler trop fort.
2) Une langue colorée : où les mots doivent aussi faire images pour se fondre dans la toile et tisser la complicité.
3) Un corps : Etre près de ceux qui sont près de moi, sans la distance de la scène ni la protection des jeux de lumière. Etre capable de se déplacer ensemble naturellement puis d’installer à différents endroits « la parole conteuse » par une attitude corporelle qui invite au voyage, à l’écoute, avant le premier mot.
4) Un cœur : pour avoir le courage de risquer ces petits mots auprès des grands chefs-d’œuvre. Un cœur pour se souvenir que « raconter c’est offrir »
5) Un Espace : à apprivoiser pour ne pas revenir inutilement en arrière, pour permettre aux visiteurs de billebauder un peu mais pas trop dans le mystère des œuvres croisées.

La lecture d’un tableau s’inscrit dans une démarche de socialisation en situation de transition entre l’oral et l’écrit. L’image du tableau constitue une provocation au langage.

La lecture d’un tableau est aussi provocation à l’écriture : le désir de raconter le tableau à d’autres, oblige à fixer la mémoire des émotions et à transcrire en mots sa vision du Beau.

La lecture d’un tableau introduit à la poésie, l’image supplée alors la voix du conteur. Images et poésie sont génératrices d’autres images.

La lecture d’un tableau élargit le champ des expériences culturelles, le caractère polysémique du travail aboutit à des interprétations différentes pour chacun. De nouvelles inventions poétiques sont toujours possibles avec un tableau qui est un tremplin pour les facultés d’imagination.

La lecture d’un tableau est enrichie par la puissance du texte : le « parce que » ne peut pas être développé par l’image. Le mélange tableau, texte, nous invite à une double rencontre.

Formation artistique et formation professionnelle développent chacune complémentairement des capacités clefs en termes de savoir être et d’élargissement des capacités d’expression et de communication.

La fonction du conteur rejoint celle du peintre : faire voyager, donner à voir et à aimer …

Dans l’ancien Grec un même mot désignait à la fois l’acte de peindre et d’écrire : Graphein.

Peindre, conter : deux espaces de liberté pour que les spectateurs accèdent à leurs propres images.

*Ce travail sur la structure est semblable au travail sur la trame du texte d’un conte que l’on veut se mettre en bouche.